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ERRANCES DIRIGÉES

Début : l'écorce du rêve

En le vers ou en la prose, ne se joue toujours qu'un seul et même prélude. Par le vers ou par la prose, ne se réalise qu'un seul et même imperceptible but. Il s'agit de permettre, par apparition ou par dévoilement, "l'épanchement du songe dans la vie réelle". Mais il y a plus encore, lorsque le songe se prend au jeu du rêve, ou lorsque le rêve s'éprend des songes. Ce qui advient alors, n'est que l'éclaircissement du rêve, au profit de l'obscurcissement du songe.
Ce clair-obscur dialectique qui s'instaure entre le domaine du rêver et le lieu du songer sera ce qui rend possible la confusion délibérée entre Verlaine et Nerval.
Certes, une frontière conceptuelle existe, qui permet de dissocier le songe et le rêve. Chez Nerval, elle prend une forme particulière, et conduit à dépasser deux assimilations principielles trop spontanées : celle du songe au jour (donc à la clarté) ; celle du rêve à la nuit (donc à l'obscurité). Le songe est proche de la veille, le rêve, proche du sommeil.
Nerval trace une "seule différence de la veille au sommeil".
Dans le veiller, dans le songer, les objets et les personnes extérieurs se transfigurent au fur et à mesure qu'ils se manifestent. Cela, parce qu'ils ont "comme une pénombre qui en modifie la forme". "Et les jeux de la lumière, la combinaison des couleurs se décomposaient".
A l'inverse, le songe s'établit, chez Nerval, du côté de l'obscurité, du côté de l'obscurcissement qui s'emparerait des choses. Songer, ce serait parvenir à se soumettre une lumière déjà existante, en la décomposant, de façon à l'obscurcir jusqu'à ce qu'elle en vienne à gésir, figée en pénombre.
"Le rêve, plus dégagé des éléments extérieurs", ne puisera plus sa force dans une pénombre qui glisserait sur l'écorce des choses. Sa force, il la tire de sa luminosité interne, qui arraisonne les formes des visages et des objets à une certaine constance et à une certaine unité. Le partage traditionnel (au moyen du couple clair-obscur) entre le songer et le rêver, vole, on le voit, en éclats. Ou plutôt, il s'inverse. Chez Nerval, le rêve sera effraction lumineuse. Le songe sera, lui, la pénombre protectrice ; mais surtout le signe annonciateur de crises de folie récurrentes.
Durant les tranches de vie qui sont des folies nervaliennes, le songe perd toute accroche à la réalité ou aux objets extérieurs, pour devenir rêve. Si bien qu'en ces moments-là, qu'en ces instants précis, le "moi, sous une autre forme, continue l'œuvre de l'existence". Ce qui ici a son importance n'est ni le concept du moi, ni son expression. L'essentiel repose sur la forme –une parmi d'autres, particularité singulière noyée au milieu d'un multiple -au moyen de laquelle le moi se pose. Ce qui est à saisir, en substance, est que la personnalité et la perception que Nerval a de ce qui lui est extérieur se donnent dans l'explosion, dans la dispersion schizophréniques. Dès lors, lorsqu'il prétend songer à l'état d'éveil, il n'énonce qu'une illusion fondamentale. Nerval ne connaît que le rêve, en ignorant ce qu'est songer. Le sous-titre d'Aurélia (le rêve et la vie), dévoile d'ailleurs assez explicitement cela, pour qu'on se permette d'en limiter le développement.

Verlaine rêve la femme.

"Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
d'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même,
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend."
 

Nerval la rêve aussi, lorsque la folie qui l'entrelace, qui réduit le songe au rêve et permet cet "épanchement du songe dans la vie réelle".

Une femme, la femme, qui errait jusque-là dans la clarté du rêve nervalien (celui d'avant l'inversion clair-obscur), s'épanche dans la vie réelle, en même temps que le rêve s'obscurcit…
 

 

Intermède premier : errances dirigées

Il y a cette femme, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre.
Cheminement qui se veut errances entre des points référentiels…
Errance, qui s'interrompt avant que l'on s'y perde, puisqu'en réalité, il y a ces points.
Deux points, une ligne.
Trois points, deux lignes, sur lesquelles s'est mu son corps.
Il y a la ligne de fuite, non saisie lorsque son corps s'efface en dehors des points stratégiques de l'errance.
De cette ligne de fuite, je ne perçois le sens
que lorsque son corps l'emprunte en sens inverse. L'inversion touche aussi la fuite comme action, et l'agir devient re-venir.
Alors, je la distingue, vaguement, puis l'aperçois, précisément.
La distance s'efface et cesse l'errance, puisqu'en ces points nous sommes regroupées.
Il y a son sourire, distance.                Il y a l'expression de son visage,
distance encore plus mystérieuse.                                         Il y a mon sourire, qui pour elle est distance, et qui pourtant, n'en a jamais été si proche.
Il y a inversion. Je suis l'inversion, qui lui retourne la distance sous la forme d'une présence insidieuse. Si proche, suis-je si proche que je ne pourrais l'atteindre? Mon sourire ironique –semblant de distance-
Caresse ses lèvres distantes. Mon œil, celui du quattrocento, plonge dans la troisième dimension ;
celle de son corsage, dégrafé presque jusqu'à l'insolence.
Energétique de l'insolence.
Il y a ce qui nous sépare, que je ne saurais ni nommer, ni réduire à néant pour en lever la difficulté.
Parfois si proche –elle qui ne me sent pas et me pense si loin d'elle.
Ignorance (la sienne)
de l'intensité que peut soudain revêtir le moindre de ses gestes jusqu'au plus anodin.
Désir qui me ronge, alors qu'il devrait s'ob-jecter, se jeter là devant elle, là où il deviendrait visible pour elle. Désir qui devrait jouer le jeu de l'espoir là où il joue celui de l'in espérance constitutive. Provocations dirigées –elle les mettrait sur le compte de ma jeunesse…
Il y a Arthur, Verlaine, et les autres…
 

 

Poursuite : poématiques de la folie

"Le fantôme" des choses accompagnait celui de son corps". Ou encore : le fantôme de son corps accompagnait, en ces temps, celui des choses. Il y a ces point où tout vacille, lorsque le désir en vient à ronger.
Les choses deviennent alors le support mou et déformable, contre lequel viennent s'échouer, par projection, des fragments de l'être aimé. Puis, tout objet mue de suite en prétexte, par lequel le texte en revient toujours à la femme, à cette femme… à Aurélia.
Depuis le lieu du vacillement, se trament insidieusement des gestes (les siens) en une toile de fond sur laquelle émergerait ou serait perçue la réalité.
Le grappin que son corps fantôme peut lancer après les choses, après toute chose, peut s'issir du point de vacillement. Ce dernier fût rendu possible dès lors que "la nuit s'épaississait peu à peu", jusqu'à ce que "les sentiments des lieux se confondent".
Et c'est ainsi alors, qu'existe ce processus par lequel cette femme ou A, en s'immisçant en tout objet, s'élabore en toile de fond, en songe diffus permanent derrière lesquels transparaît "a vie réelle".
Il y a ce goût d'absurdité qui subsiste ; celle qui consiste à être passé trop près du but pour l'avoir manqué. Aurélia reste pour Nerval, cet amour amer, qu'on pourrait croire définitivement perdu dans la mort. Toutefois, c'est bien un geste faisant signe vers l'ambiguïté qui définit cette perte : "Aurélia était morte […] je ne ressentis qu'un vague chagrin mêlé d'espoir". Le chagrin à coloration d'espérance fait effectivement signe tout à la fois vers l'attente d'une réjouissance à venir, et vers le constat de la disparition, censé ouvrir sur le deuil.
Et une semblable ambiguïté, issue du sentiment d'être passé trop près du but pour l'avoir manqué, introduira de la dissonance au sein de l'amour matriciel de Nerval pour A.
Il y a l'amour trop proche, qui sur l'instant, paraissait trop illusoire ; celui qui est gardé en mémoire sous forme d'un "souvenir de cette union trop rapide". Il y a l'amour qui, une fois éloigné, hante comme irréductiblement trop réel. La pensée d'un kairos, comme contemporaine du moment de déroulement opportun, glisse hors du champ de pensée et d'écriture de Nerval. Dans Aurélia, le kairos reste inexistant parce qu'il ne peut s'immiscer, par les pores du rêve, en la luminosité.  La pensée et le ressentir contemporains à l'instant se dissolvent , pour laisser place à une intuition après coup d'un kairos déjà consommé et révolu.
Le principe de dispersion auquel Nerval est fondamentalement soumis se concrétise en engendrant une forme : la duplicité. "L'homme est double […] en tout cas, l'autre m'est hostile […] attachés au même corps tous deux par une affinité matérielle, peut-être l'un est-il promis à la gloire et au bonheur, l'autre à l'anéantissement et à la souffrance éternelle".
La vision de son double par Nerval , soumet le songe obscurci à un spasme furtif qui, le temps d'un éclair, hisse le songer jusqu'au rêver : "un éclair fatal traversa tout à coup cette obscurité […] Aurélia n'était plus à moi". De façon soudaine, Nerval se voit dépossédé d'A. par son double. Et par là, si un chagrin mêlé d'espoir peut émerger après la mort d'A., c'est qu'encore une fois, le texte nervalien s'origine dans une illusion. La disparition d'A. fait croire à Nerval que son double en sera également dépossédé.
Seulement, ces illusions ou hallucinations sont légitimes aux yeux de Nerval, puisque, inlassablement, il cherche à s'immerger en elles, sous elles. Il y a, dans Aurélia, une volonté de poser la logique de la folie contre celle de la raison. Nerval fait progresser la folie, comme pour entraver l'avancée trop illégitime d'une tradition philosophique qui aurait décrété sans justifications qu'il était de rigueur de faire progresser la raison, jusqu'à ce que disparaisse la folie. Les attaques portées par Nerval contre cette rationalisation philosophique se manifestent par-dessous le texte. On en repère une peu après la référence à deux principes : celui de l'épanchement du songe dans la vie réelle, celui de la duplicité de toute chose. L'attaque procède comme suit : "mes actions, insensées en apparence, étaient soumises à l'illusion selon la raison humaine…". La suspension de l'écriture sur la fin de la phrase, d'une part; le renvoi implicite  à une logique structurante qui existerait, mais en deçà de l'apparence, d'autre part ; révèlent tout le mépris de Nerval vis-à-vis de la raison comme interface entre le monde et lui, entre lui et Aurélia, entre lui et la femme. Le lien à cette femme empruntera alors une autre voie. La raison ne peut être un liant, seulement un déliant. Il y a "l'amour impossible et vague, source de pensées douloureuses, que la philosophie de collège est impuissante à calmer".
S'immerger volontairement dans l'hallucination, dans le songe obscurci, dans la folie, craindre à chaque instant de perdre définitivement la folie en sup-portant la raison, c'est pour Nerval, craindre une autre perte –celle d'Aurélia, disparue hors sa relation amoureuse avec lui, ou partie hors l'existence-. En effet, lorsque l'existence nervalienne fonctionne sur le mode de la rationalité, alors c'est la femme, cette femme, qui est perdue. Ainsi, "son image, qui m'était apparue souvent, ne revenait plus dans mes songes".
A l'inverse, une fois en avoir appelé au songe obscur, alors 'la nuit s'épaississait peu à peu", et "les sentiments des lieux se confondaient". La dissolution des frontières qui garantissaient la régionalisation du réel en lieux distincts fait venir sur le devant de la scène, la confusion salvatrice entre les lieux –ou les sentiments des lieux -. Il n'y a plus de lieux, mais du lieu, comme il y a de la matière. La confusion des lieux dans l'exercice et la maîtrise de la folie permet à Nerval de percevoir Aurélia à ses côtés, et d'y vivre avec elle. C'est le passage des lieux à du lieu qui engage le processus de regroupement dans l'espace, qui ensuite, prendra appui sur les illusions de la perception dans la folie.
Dans l'espace groupé, ne restent que cette femme et son auteur.
Dans la réalité de la folie imaginative et constitutivement antirationaliste, Nerval sent Aurélia, dans le rapprochement.
 

 

Second intermède, écriture automatique

Falaises de Saint-Cast

Sculptures de femmes, corps de grès.
Caresses d'artistes, qui dessinent les coups des traverses.
De long en large, pinceaux qui effleurent;
Mieux les corps, pour les reporter sur les toiles.
Concept qui relèvent les cœurs de la renverse.
Il y a l'éther qui se dévoile, en contre-nuit. Et puis les heurts
Ou non, qui sonnent, au cours des arbres.
Et la sève des fleuves, longue et fluide.
Et le corps des femmes, encore.
Puis plus rien, que l'errance.
Puis le lieu de l'errance et plus rien.
Puis le rein de l'errance et du lieu.

Falaises d'Etretat

Falaise d'Etretat, en contre-jour
Jeux, face à un rayonnement indicible.
Déesse de sable, celle d'un non-retour.
Remous de vagues, à l'âme, sursauts d'un incrédible
Amour.
Puis plus rien, juste le retour,
Amer. Celui de l'encore non-retour.
Gestes sur les dunes glamours.
Pose, qui tranche sur le paysage.
Rêves de glace, sous le soleil qui noyaute.
Rêve de pensées, qui de calmes, deviennent sages.
Echo d'un soupir, qui s'évince et renonce.

Poursuite : les spasmes du songe

Restent alors ces spasmes (ceux de la vision par Nerval de son double, qui le dépossède d'A.) dans le songe, ces désespoirs subits, lorsque A. réapparaît en une toile de fond un pleu plus marquée qu'à l'accoutumée. Subsistent alors ces rituels, les spasmes mélodieux d'un phrasé musical au tempo constant, dans lesquels le corps d'A. et son souvenir feraient effraction lumineuse –dans le rêve.
La ritualisation passe aussi par la répétition d'un geste, celui par lequel Nerval rappelle volontairement A. à son souvenir douloureux. Au travers de cette gestualité particulière, il serait question de s'imposer une douleur nécessaire à la "purification", thème récurrent au sein d'Aurélia.
Nerval de dévoile comme "condamné par celle qu'il aimait, coupable d'une faute dont l n'espérait plus le pardon". Le rituel de la souffrance qu'il s'impose, de façon spasmodique, périodique, vise quand même à l'expiation de la faute. Ou encore, il cherche à catalyser l'éventualité d'une réapparition, celle d'A..
Plus qu'une A. du venir, c'est une A. du revenir que se bâtit et qu'attend Nerval. L'espoir de revisites d'A. pourrait être, d'ailleurs, l'errance dirigée nervalienne elle-même. Toutefois, ce qu'il y a d'erratique ou d'infini, dans l'errance dirigée semble s'opposer à la limitation à laquelle est soumis le revenir d'A.
A. ne revient que lorsque la poématique de son retour n'atteint pas deux horizons, les deux néants bordant le domaine de définition du revenir.
Plus explicitement, l'espoir du retour d'A. peut tenir tant que Nerval n'aperçoit pas les deux points de néantisation du repasser d'A. : la mort réelle de cette dernière ; la promiscuité entre les divers lieux, entre lui et A. Cette promiscuité (second ravin qui borde le pays du revenir) serait rendue possible par la poématique de la folie, qui donne l'illusion à Nerval d'être avec …A.
Dans l'obscurité du songe, se dissimule entre deux principes, un face à face en contre-nuit. Si les sentiments des lieux et les lieux se confondent, les sentiments des temps et les temps se confondront eux aussi. Au cours d'Aurélia, c'est un oiseau qui revient ou survient. Il parle à Nerval de, le fait plonger dans la confusion entre les grains distincts et autonomes de la temporalité posée par la raison. Dans la poématique de la folie, l'oiseau parle, de personnes "vivantes ou mortes en divers temps, comme si elles existaient simultanément".
Par delà l'épanchement ou l'écoulement du temps, c'est A. qui accélère ou ralentit, qui passéifie le futur ou futurise le passé, pour revenir, et permettre la promiscuité temporelle avec Nerval.
Lorsque le face à face entre la dissolution des lieux et celle des temps, fait contre-jour, c'est la nuit qui vient décomposer, obscurcir les couleurs des objets extérieurs. Et puis, comme en pizzicato, surgit une ombre portée insidieusement sur le réel. Alors l'union entre Nerval et Aurélia, ou leur regroupement dans l'espace et dans le temps peut advenir. La poématique de la folie, lorsqu'elle jour sur ces deux forme de confusion –lieu et temps-, désintroduit la perception du principe de réalité. Il y a alors vie (au travers du songe), avec et auprès de la femme, auprès de cette femme, qui lorsqu'elle s'efface, nous laisse nager contre la défragmentation continuelle engendrée par les spasmes du songe…
Vouloir la réalité d'un imaginaire contre celle de la raison.
Vouloir la distorsion du temps contre l'apparition ou la disparition d'instants autonomes, quitte à manquer comme Nerval, tout kairos ; quitte à ne vivre qu'après-coup, dans une intuition-retour, les instants réels, historiques passés avec A..
Mais peu importe… puisqu'il y a l'imaginaire et la poématique rutilante de la folie, qui libèrent du principe de réalité, si la réalité est rationnelle, qui nous y introduisent, si la réalité est imaginaire.
Reste à comprendre comment, prise ou piégée dans la promiscuité spatio-temporelle du songe obscurci, cette femme peut pourtant parvenir à s'échapper par une faille qui, ouverte, laisse réapparaître la clarté du réel de la raison, celle de l'irréparable perte.
 

 

Troisième intermède : texte d'il y a longtemps, à paraître un jour en œuvre posthume

"…Je la regardais, discrètement, longeais ses cheveux noirs sur lesquels une lampe jouait de ses auréoles. Sa langue humidifiait parfois ses lèvres, afin de pallier une action du temps qui aurait changé ce velours charnel en une surface dire et repoussante. La danseuse glissait encore sous des lumières mielleuses, devenait de plus en plus apte à réveiller les instincts les plus primaires. Deux longues nattes pendaient sur sa chemise blanche, comme sur un habit léger brodé pour un jour de noces. Une cravate noire des plus simples, nouée de façon experte, lui donnait une ambiguïté mystérieuse, et le fin tissus qui la composait resserrait l'étreinte mouvante qui se révélait au travers de ce travestissement caché…"
"…Je n'écoutais plus ses paroles, me laissais porter par le fluidité de sa voix, épiais chaque moment où sa poitrine se faisait soulever par un de ces petits soupirs sporadiques et presque imperceptibles. Ses mains s'agitaient sur la table de marbre noir qui nous soutenait, raclaient parfois quelques cendres de ma cigarette que des courants d'airs répandaient sur la pierre. De temps en temps, une émotion certaine appuyait ses mots, leur donnait une puissance que peut-être, j'étais la seule à percevoir, comme dans ces "tu sais" qui ponctuaient chacune de ses phrases…"
 

 

Poursuite : le principe de contamination

Il se trouve cette faille, par laquelle A. peut investir ou désinvestir le songe nervalien obscurci. Le point de vacillement, par où cela peut faillir, se dissimule dans l'ombre portée subitement par un spasme. A. peut advenir ou repartir lorsque les frontières qui dissocient le songe et le rêve explosent, et que, sous l'action d'un spasme, le songe s'obscurcit pour devenir rêve.
Deux rapports à cette femme, à … : la réalité et l'imaginaire du songe.
Chez Nerval, A. s'introduit dans le songe comme le songe devient rêve. Ou plutôt, A. introduit au rêve.
L'énoncé qui introduit le récit de ses rêves par Nerval prend toujours une forme similaire, de type "un rêve que je fis…". A l'autre extrémité de l'étendue désertique et erratique qui façonne le pays du revenir, on aperçoit, de façon flottante, quelque chose ou quelqu'un, qui attend. Lorsqu'on s'approche, on ne verra ni chose, ni quelqu'un, seulement que l'attente. Et ce qui attend n'est qu'une des formes qui peuplent le pays erratique et désert du revenir, similaire à celui du rêve nervalien. Ce qui attend n'est pas "un rêve étrange et pénétrant", celui de Verlaine.
Aurélia rentre toujours dans le songe obscurci après que celui-ci a déjà commencé son intrigue, qu'il est en marche. Alors, elle arrive, insidieusement, vient hanter le rêve nervalien ; parce que, de façon soudaine, une voix ressemble à celle d'A., parce qu'un visage, tout à coup, mime les trait d'A..
La femme, cette femme, métamorphose les objets et les femmes du songe de Nerval, afin de rendre possible sa venue. Elle se ente sur les autres femmes, en transfigurant leurs formes déformables. A la base, si la transfiguration de toute chose en toute chose, si le passage d'une forme en une autre qui lui serait proche (par le temps ou par l'espace) peuvent fonctionner, c'est que la réalité de l'imaginaire nervalien est déformable.
Chaque objet peut être contaminé par un autre, puisque dès qu'un spasme advient, qui hausse le songe au rêver, alors les objets ont "comme une pénombre qui en modifie la forme". Le principe de contamination peut alors s'exécuter, lorsque les frontières-formes qui différencient et donc singularisent les objets, s'envolent. Des femmes, dans un rêve : "il semblerait que chacune eût les traits de plusieurs de ces personnes. Les contours de leurs figures varient comme la flamme d'une lampe, et à tout moment quelque chose de l'une passait dans l'autre".

Mais outre la dismutation des songes en rêves et l'investissement par A. des visions nervaliennes, le principe de contamination permet aussi de clore les rêves et de les vider d'A..

"La dame que je suivais […] se mit à grandir sous un clair rayon de lumière, de telle sorte que peu à peu, le jardin prenait sa forme, et les parterres et les arbres devenaient les festons de ses vêtements ; tandis que sa figure et ses bras imprimaient leurs contours aux nuages pourprés du ciel. Je la perdais de vue à mesure qu'elle se transfigurait […] 'Oh! Ne fuis pas' m'écriais-je […] un pan de mur auquel gisait un buste de femme. En le relevant, j'eus l'impression que c'était le sien…". Le jardin prend l'aspect d'un cimetière, puis le rêve s'achève.
 

Viviane Ventrin

N.B : les notes du texte original n'apparaissent pas ici.

 

 

SCÈNE

S : Ne bougez pas…il vaut mieux rester sous les couvertures.

Lelle : J'ai chaud, je souffre, j'étouffe;

Ne puis-je pas même en soulever un coin?

S : Vous êtes têtues. Je l'ai toujours su.

Lelle (à Lalelle) : le petit trésor a des fantômes au plafond! Regarde Lalelle, elle crève de trouille.

Lalelle : Mois, je la crois. Après tout, c'est elle qui sait.
Et ces fantômes, comment sont-ils?

Lelle: Oh oui… Oh oui… une histoire qui fait peur.
Des fantômes qui grimacent et qui traînent leurs chaînes au premier étage : des revenants d'opérette en somme, que peut-on attendre de plus de cet avorton femelle!

Lalelle : au moisn sont-ils érotiques, exotiques, que sais-je, de vrais fantômes fantasmatiques!

S : Bof… plutôt pathétiques, sans envergure ces pauvres déguisés.

Lelle : tu vois, elle l'avoue. Des lâches, des lâches, des…

S : Ça alors !

Lalelle : Quoi… quoi?

S : Vous les avez vexés!

Lelle : Couchés, les nébuleux… pas de scandale… pas encore la pleine lune, vous comprenez?
Un peu d'autorité que diable! Des moins que rien susceptibles qui dégoulinent d'un cerveau ramolli en l'occurrence, le vôtre ma chère, montrant quelques velléités d'autocratie, laissez-moi rire!

Lalelle : ouais, ils sont lâches tes fantômes.

S : Ah, ça, ils sont lâches… ils ont peur de tout. Et la musique, si vous les voyez! Ils se démantibulent en poussant de petits cris Il faut avoir vu ça dans sa vie, c'est une expérience!
Allez-y, chantez doucement pour voir.

Lelle et Lalelle chantent en cœur:
Dansons la carmagnole
Vive le son, vive le son
Dansons la Carmagnole
Vive le son du canon…

S : Non, non, stop... ils aiment, ils dansent…aïe
Double, double, triple folles, je vous haïs toutes les trois.

Lelle : Elle est mûre, qu'est-ce que je t'avais dit!

Lalelle : je crois qu'il est temps de foutre le camp
Oui mais pas avant de couper le courant;

Lelle : pauvre, pauvre Sophie… Pour te prouver que nous ne nous désintéressons pas de ton cas, (a parte) bien qu'il soit désespéré (Lalelle pouffe de rire)
Nous t'avons composé une chanson...

Lalelle : oui, oui...ha, ha... une chanson romantique.

Elles deux, sur un air désaccordé :

Sophie s'abandonne au boudoir
Odieuse Sophie si sotte et si savante
Damnée. Elle a versé des pleurs.

S : Stupides charognes de sanatoire
faites le ronde autour du crachoir mais… arrêtez… laissez-moi en, paix!

Toujours fausses:

Oh ce maudit sopha si l'abbé savait ça
Malheureuse et jouée. Quel est ce drôle de tour
Insidieusement mené. On ne l'y prendra plus
Elle a trop mal au cœur.

Lelle : D'accord, Lalelle, je serai toit et toit tu joueras à être l'autre?
Voilà, je commence :
pas la peine de t'agiter
on aura ta peau, petite pouilleuse.

Lallelle : Mais je ne suis pas aussi ridicule que vous semblez le prétendre et si c'est le pouvoir que vous voulez, prenez et jouissez en toutes, mais sans moi vous n'êtes rien.

Lelle : Lalelle ! Qu'est-ce que tu dis? Tu perds la tête...

Lalelle : A la lanterne le tyran, aux oubliettes l'usurpateur !
Le roi, c'est moi.

Marie Fleuberi

 

En cours d'affichage : Laurence Floerchinger : L'ENFER DE DO L'ENFANT-POT, d'après COMBET